Date : 11/03/2006
Terre des origines - 2/5 : Le GénéralPaycheck et autres récits (nouvelles)
"Un Aidumane avait récemment largué des caisses de composants complexes qui, une fois montés, devaient manifestement constituer une espèce d'ordinateur. Pendant plusieurs semaines, ces caisses étaient restées intactes dans l'abri, mais Norman Schein avait finalement trouvé à utiliser l'une d'entre elles. Il adaptait les plus petits éléments afin de fabriquer un vide-ordures pour la cuisine de sa Poupée Pat." : Stupéfiant !, non ? soyons clair, cela ne s'invente pas, ça ne se trouve que dans un esprit psychotique ; seul un Philip K. Dick peut concevoir ce genre d'incongruité : des martiens qui larguent des paquets humanitaires (aide-human.) aux survivants d'une guerre nucléaire, lesquels, parqués dans leurs abris collectifs, passent leur temps à jouer à la poupée, en rêvant à leur ancienne vie d'avant l'apocalypse, vie complètement futile par ailleurs : rouler en voiture sportive, aller au supermarché, activer la télécommande du garage, voir son psy, ...
Au fait, le passage cité dissimule-t-il un message philosophique subliminal ? une intelligence E.T., au caractère quasi divin, tente d'aider l'humanité moribonde, grâce à la judicieuse diffusion de technologies clés, et celle-ci ne trouve pas mieux à faire qu'assembler un vide-ordure pour son mirage existentiel ! Les survivants jouent-ils à la poupée pour échapper à leur responsabilité sociale : se marier, avoir des enfants, ... ?
PKD a l'habitude de composer des scènes à partir d'éléments complètement disparates, formant un bric-à-brac invraisemblable, et parfois, le miracle se produit : chaque élément, bien que parfaitement incongru dans la scène, s'assemble et s'agence harmonieusement dans le tableau étrange, comme si l'auteur avait touché là quelque vérité profonde, un peu comme un Lynch au cinéma.
Ce recueil de nouvelles est l'état de l'art Dickien. Le passage cité est extrait de l'une d'entre elles (Au temps de Poupée Pat), qui sert par ailleurs de base à un roman dans lequel le jeu est cette fois remplacé par une expérience mystique collective. La plupart des nouvelles de PKD sont des variantes de celle-ci : les personnages sont ou bien semi-vivants, ou bien semi-morts, ou bien encore dans une superposition de plusieurs de ces états en parallèle, quand ils ne sont pas carrément substitués par des machines, dans le meilleur des cas, et dans le pire par un insecte horripilant. En tout cas ce sont des ersatz d'humanité : selon PDK, les vrais gens ont probablement disparu, au moins pour la plupart !
Les Robots et l'empire 2
L'I.A. à l'aube de l'humanité
Brillant ! I.A. (Isaac Asimov, ça ne s'invente pas !) est parvenu à définir analytiquement l'humain relativement au non humain qu'est le robot, grâce à la loi zéro de la robotique : "Un robot ne doit causer aucun mal à l'humanité ou, faute d'intervenir, de permettre que l'humanité souffre d'un mal". Il s'agit rien de moins qu'une élaboration méthodique et complète du concept d'éthique universelle : tout simplement génial !
Cette loi zéro est élaborée progressivement par un robot doté de capacités extraordinaires grâce aux modifications dues à la fille du plus fameux roboticien de l'empire, elle même dotée de capacités non moins extraordinaires, alors même qu'elle n'était encore qu'une enfant surdouée. Ainsi donc, ce robot philosophe élabore sa loi zéro en extrapolant à partir des trois fameuses lois de la robotique, qui soutiennent toute l'oeuvre SF d'Isaac Asimov :
Les Trois Lois de la Robotique (Manuel de la robotique, 58è édition, 2058 ap. JC) :
Première Loi : Un robot ne peut blesser un être humain ni, par son inaction, permettre qu'un humain soit blessé.
Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi.
Troisième Loi : Un robot doit protéger sa propre existence aussi longtemps qu'une telle protection n'est pas en contradiction avec la Première et/ou la Deuxième Loi.
Mais la philosophie du robot n'est pas venue toute seule, elle fut engendrée en suivant l'exemple d'un enquêteur humain héroïque et visionnaire, en s'interrogeant toujours, dans les situations difficiles, de quelle manière aurait réagit ce héro. Voilà, tout est dit sur la genèse de l'intelligence artificielle ! mais cela est tout aussi valable pour l'intelligence humaine, c'est un principe universel !
Cependant cette loi zéro pose un problème fondamental : à partir de quand choisir entre une humanité abstraite et un humain en particulier ? autrement dit, quand peut-on sacrifier des hommes pour une cause (supposée) supérieure ? Au cours de l'humanité, des dictateurs ont abusés de cette loi zéro, par exemple au nom d'une soi-disant amélioration de la race. Vouloir le progrès de l'humanité est un objectif noble en soi, ce sont les moyens pour y parvenir qui font la différence entre un tyran et un chef visionnaire ; en l'occurrence, des moyens indignes ne contribuent certainement pas une amélioration de l'humanité, et de toute façon, le postulat de supériorité ethnique est évidement infondé.
Pour appliquer à bon escient une telle loi zéro, cela suppose une juste estimation des circonstances. Or cette juste estimation implique aussi une juste estimation de ses capacités d'évaluation des circonstances et de soi-même, ce qui aboutit à un concept important : ne pas se surestimer, ce qui est pratiquement synonyme de l'humilité. Or la vertu de l'humilité est une fleur incroyablement fragile : il suffit de se satisfaire de la posséder pour qu'elle se fane ! Comment alors être sûr d'être humble avant d'entreprendre une bonne action pour l'humanité à long terme, éventuellement au détriment d'un certain nombre d'individus à court terme ? Tout bon dictateur doit avoir éveillé la flamme de la compassion dans sa conscience ! Mais puisque l'humanité est un concept abstrait, par opposition au concret de la souffrance humaine immédiate, suivre une telle loi implique une lourde responsabilité. Aujourd'hui, la dictature demeure une utopie effroyable, le pragmatisme actuel a fait place à la démocratie, une autre utopie plus appropriée en ces moments ténébreux, où les chefs sont potentiellement des tyrans.
Ce qui assez édifiant dans cette oeuvre, c'est qu'il apparaît que ce robot est parfaitement tyrannique, même si l'auteur s'en défend en justifiant incessamment ses actes : il a toujours voulut arbitrer équitablement entre l'ingérence omnipotente dans les affaires des hommes et le bien de l'humanité, mais manifestement, il n'a pas placé le curseur au milieu ! il me semble qu'il a sensiblement dévié vers l'abus, un exemple typique : influencer "légèrement" l'attirance entre un homme et une femme. S'il l'amour se réduisait simplement à des hormones ou même des émotions, il n'aurait certainement pas la noblesse qu'on lui prête. De fait, l'amour ne peut en aucun cas être le résultat d'une manipulation mentale, car c'est une faculté dérivée du libre arbitre.
Dommage que les trois premiers volets ainsi que le dénouement de cette saga robotique semblent moins inspirés. Isaac Asimov à parfois tendance à saboter son oeuvre en imaginant des rebondissements invraisemblables, parfois même contradictoires ; cependant, au final, c'est vrai que le tout est quand même assez cohérent et sympathique.
Le Meilleur des mondes
Le meilleur des mondes selon l'Antéchrist : Le confort moderne, le clonage reproductif pour la prédestination sociale, la lobotomisation chimique, le conditionnement hypnopédique : voilà le secret du bonheur platonique ! On a déjà la télé-lobotomisation (dont le modèle économique prône la "massification" et produit un nivellement "culturel" par le bas), on y est presque, mais on y sera jamais complètement dans cette utopie du bonheur qui n'en est pas vraiment un, dans la mesure où celui qui le ressent n'en est pas vraiment conscient, tout au plus perçoit-il une vague sensation de plaisir (ou une neutralisation de la souffrance ?). Non ! ce monde meilleur restera utopique car chaque jour qui passe, la quête hérétique du "progrès" conduit l'homme toujours plus à sa perte, à son malheur : l'évolution naturelle n'existe pas ! La stabilité sociale aux forceps est une sclérose qui fait involuer l'humanité. Cette forme de vie totalitaire n'aurait pas de sens, pas de raison d'être : inéluctablement, des rebels manifesteraient leur refus d'une telle absurdité, d'une manière ou d'une autre. Cela signifie-t-il que l'homme doit souffrir ? En tout cas, en France, on est champion de la consommation d'antidépresseur, cet état de fait est le résultat du système, sans aucun doute. Le conditionnement psy pendant le sommeil n'existe pas encore, cependant nous avons le conditionnement pendant le "sommeil médiatique" par la publicité à la radio et à la télévision, laquelle représente tout de même en France entre 3h et 4h d'assiduité en moyenne par personne par jour. La publicité n'est pas étatisée, mais elle est l'apanage des firmes capitalistes, ce qui n'est pas si éloigné que ça. A l'origine du "système", le taylorisme issu de chez Ford a inventé la "rationalisation" productiviste de l'entreprise, qui se fait au détriment du bien être social de l'individu. Aujourd'hui, si c'est confirmé, l'heure des bébés humains clonés a commencé depuis fin 2002 (étrangement symptomatique que cela soit le fruit d'une secte tout ce qu'il a de plus anti-système !). Ce livre n'est pas un chef d'oeuvre en soi, mais beaucoup d'arguments sont toujours d'une actualité terriblement pertinente (même les OGM sont évoqués sous forme de manipulations qui ne sont pas encore qualifiées de génétiques, car cette discipline n'existait pas encore). Ce livre n'aurait pas une très grande importance s'il n'avait pas été écrit... en 1932 ! Aurait-il été écrit 30 années plus tard que cela aurait déjà constitué un exploit visionnaire incroyable !
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